La Fata Morgana de Teresita Fernandez au Madison Square Park de New York
Un article de Jonathan Goodman
Depuis 2004, le Madison Square Park Conservancy invite de grands artistes et sculpteurs – parmi lesquels Tony Cragg, Richard Deacon et Mark di Suvero – à créer des expositions interactives. Au coin de la 23ème Rue et de Broadway, le parc se situe dans une partie de Manhattan qui est principalement un quartier d’affaires. Mais ses visiteurs viennent d’horizons divers, allant de la mère de famille accompagnée de ses enfants en poussette, en passant par des employés de compagnies d’assurances en pause déjeuner, jusqu’aux jeunes visiteurs en quête d’un peu de verdure à proximité du centre ville.
Les expositions, de plus en plus ambitieuses et appréciées des critiques d’art new-yorkais, visent à présenter à une population diversifiée des œuvres « d’esprit public », le plus souvent des sculptures, puisque c’est généralement le support exigé pour un travail en extérieur. Le programme du Madison Square Park participe d’une prise de conscience de plus en plus forte de la part du monde artistique, non seulement à New York mais mondialement, comme quoi l’art doit être accessible à des personnes qui peuvent ne pas forcément comprendre ou apprécier pleinement le travail qui leur est présenté. Bien que partant de bonnes intentions, cette approche peut être problématique. L’oeuvre peut parfois devenir populiste, succombant ainsi à un manque de sophistication.
Mais le Madison Square Park a su ne pas tomber dans ce piège, et ses expositions parviennent à être résolument contemporaines tout en restant accessibles, comme il se doit dans un espace public. Fata Morgana, l’oeuvre de Teresita Fernandez, a été conçue pour être installée directement au-dessus des chemins du parc, on ne peut plus spécifiquement pour ce site. Elle consiste en une série de disques miroirs, suspendus sur 150 mètres au-dessus du chemin qui encercle la pelouse ovale qui constitue la partie centrale du parc. On croirait voir un groupe de nuages métalliques dorés, aux contours irréguliers, laissant percer les rayons du soleil sur le chemin de béton qu’ils surplombent. Le terme « fata morgana » signifie mirage et, le temps de cette installation, les visiteurs semblent intrigués par ces masses aux allures nuageuses flottant au-dessus de leur tête, venant s’ajouter à la verdure qui surplombe déjà les allées (l’installation s’ouvrira le 1er juin). Cette exposition, la première du parc à être suspendue plutôt qu’installée au sol, s’inscrit dans la continuation du remarquable travail de Fernandez en tant qu’artiste s’intéressant tout particulièrement à l’interaction avec le public. Ce jardin de deux hectares et demi attire plus de 50000 visiteurs par jour, un public par conséquent très large. En ce moment, les promeneurs du parc peuvent jouir d’un peu des atours du printemps : le site de Fata Morgana intègre brillamment la culture à la nature.
Fernandez joue avec l’espace vert du parc avec brio. Les nuages dorés, plats, découpés irrégulièrement, flottent au-dessus de ceux qui déambulent sur le site, les invitant à lever le nez au ciel, au delà des murs de verre et de métal des immeubles de bureaux entourant le parc. Les contours des disques suggèrent le feuillage, faisant ainsi écho aux arbres qui s’élèvent au-dessus de la sculpture. Aussi spectaculaire qu’elle puisse être, l’installation soulève cependant certaines questions quant à ce qu’elle vise à accomplir. Celles-ci relèvent plus de la nature publique de l’art que de l’œuvre en soi, qui remplit avec succès son contrat. Il faut peut être se demander si l’environnement, que Fernandez conçoit si brillamment, n’a pas, à force d’efforts, quelques difficultés à offrir une expérience positive à son public. L’œuvre perd-elle sa cohérence artistique dès lors qu’elle vise à atteindre un public qui n’est pas forcément préparé à apprécier sa sophistication ? Ou ces questions reflètent-elles ce qui est aujourd’hui une fausse dichotomie entre la culture populaire et une culture d’élite ? De toute évidence, Fernandez sait combler l’écart entre l’héritage du modernisme et les besoins du grand public new-yorkais. Mais le succès de cette entreprise pourrait bien être plus compliqué qu’il n’y paraît, car il s’attache à rapprocher l’art à un public ordinaire, ce qui semble difficile.
Teresita Fenandez, Fata Morgana – Une actualité du site Sculpture Nature